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L'univers psychiatrique

L'environnement

Dès le choix du nom de l'île, l'ambiance du film est annoncée.

En effet "shutter" signifie "éteignoir". De plus, en étant attentif on peut

remarquer que Shutter Island est l'annagramme de "Truths and Lies",

autrement dit "Vérités et mensonges" -le grand thème du film.

Scorsese nous plonge dans une athmosphère sombre et menaçante avec

une île difficile d'accès, aux falaises abruptes et où la tempête ne fait

qu'accentuer le sentiment d'opression et d'enfermement.

Les teintes grises et froides des nuages ont été accentuées en post-production, et des nuages menaçants ont été rajoutés numériquement -ce qui n'est pas sans rappeler l'ambiance d'un tableau de Böcklin : l'île des morts -que vous pouvez voir ci-dessus. 

 

Cet hôpital psychiatrique suscite un sentiment de confusion chez le spectateur par l'emploi des codes du milieu carcéral.

Barbelés, nombreux gardiens présents et armés... évoquent les quartiers de haute sécurité et de surveillance de l'univers pénitentiaire.

Les patients sont enchaînés et leurs chambres ressemblent davantage à des cellules d'emprisonnement qu'à un lieu confortable où sont soignés des malades. L'hôpital est divisé en trois bâtiments, le bâtiment A est réservé aux hommes, le B aux femmes et le C aux patients les plus "dangereux". Teddy ressent d'ailleurs lui aussi cette ambiguïté car il intervertit à plusieurs reprises les qualificatifs prisonniers/patients.

En outre le bâtiment B ressemble étrangement à un vaste labyrinthe, ce qui rappelle la remarque de Noyce à Teddy :

"Tu ne comprends pas ? T’es un rat dans un labyrinthe.".

La véritable raison de la venue de Teddy sur l’île est de prouver que des scientifiques mènent des expériences sur le cerveau humain comme le faisaient les nazis dans les camps de concentration. Ce parallèle est renforcé par les nombreux flashbacks dans le vécu militaire d’Andrew et la présence d’un médecin allemand, le docteur Naehring.

Le traumatisme psychologique provoqué par la guerre est probablement fondateur de l'état psychotique d'Andrew, comme le dit Naehring lui-même :

"Savez-vous que le mot "trauma" est le mot grec qui veut dire "blessure". Et savez-vous comment se dit "rêve" en allemand ? "Traum", ein Traum. Les blessures peuvent créer des monstres et vous, vous êtes blessé, Marshall."

 

L'hôpital n'est pas sans rappeler l'île d'Alcatraz, qui hébergea une forteresse militaire (1850-1909), puis une prison militaire (1909-1933) et enfin une prison fédérale de haute sécurité (1934-1963). Cette île contenait d'ailleurs elle aussi un phare.
 

L'hôpital pratique la lobotomie sur ses patients, il s'agit d'une opération chirurgicale du cerveau consistant à sectionner la substance blanche (un tissu nerveux constitué de fibres transmettant des impulsions nerveuses constituées de potentiels d'action au cerveau). Autrement dit -en touchant le cortex préfrontal, cette pratique mène à l'altération de la gestion des impulsions, du jugement, du langage, de la mémoire, d'une partie des fonctions motrices et du comportement sexuel, de la personnalité, de la spontanéité et de la sociabilité. La lobotomie était employée afin d’interrompre certains circuits neuronaux pour traiter les maladies mentales, la schizophrénie, l’épilepsie.

Les méthodes

Dès leur arrivée à l'hôpital, le docteur Cawley explique aux marshals que la psychiatrie traverse une phase difficile par l'opposition entre trois méthodes de traitement : la psychochirurgie (la plus connue étant la lobotomie), la psychopharmacologie (l'emploi de produits psychotropes ayant des répercussions sur les sensations, l'humeur, la pensée, etc). et la psychothérapeutique (la méthode la plus douce, reposant sur l’écoute et la discussion grâce à un contact humain avec un médecin).

Les docteurs Cawley et Sheehan tentent d’éviter à Andrew la lobotomie en essayant de le ramener à la raison par l'utilisation de cette dernière technique novatrice.

Si le docteur Cawley parvient à faire revenir Andrew à la réalité -sachant qu'il est le patient le plus difficile de l'hôpital, alors ses travaux seront reconnus. Le jeu de rôle grandeur nature auquel est confronté Andrew commence dès l'arrivée de Teddy et Chuck à Shutter Island : Chuck lui demande s'il est marié... et le processus commence.

 

Une fois la vérité révélée, le film appelle à une seconde lecture.

Lorsque les deux marshalls arrivent en bâteau, on peut voir des chaînes suspendues dans une pièce, c'est un bâteau pour emmener les patients dans l'île. De plus avec la première séquence sur le navire on discerne déjà la notion de mise en scène :

en fond sonore on peut entendre ce qui semble être la sirène du bateau mais il s'agit en réalité d'une ambiance sonore-off, l'introduction d'un morceau de musique.

Une fois arrivés à l'hôpital ils sont contraints de donner leurs armes. Chuck ne parvient pas à retirer son arme de sa ceinture du premier coup, il est en effet psychiatre et non marshall, ce qui explique qu'il se montre maladroit.

Lors de la discussion entre Teddy et le directeur dans son bureau sur les images réalistes accrochées au mur, il ajoute qu’on faisait prendre aux patients des bains glacés qui parfois les noyaient : le directeur jette un regard attentif à Teddy pour voir s’il réagit vu que ses enfants sont morts noyés.

Lorsque Teddy interroge des patients ou du personnel au sujet du docteur Sheehan, des gros plans sont automatiquement faits sur Chuck (lors de l’interrogatoire des infirmiers, Teddy demande à une aide soignante qui menait la discussion pendant la thérapie de groupe et lorsque celle-ci répond qu’il s’agissait du Dr Sheehan on peut voir un gros plan sur Chuck, de même lorsqu'il demande à une patiente de décrire le docteur Sheehan, Scorsese choisit un gros plan montrant Chuck. Tous les protagonistes -en dehors d'Andrew et du spectateur, sont au courant et nous ne comprenons donc ce choix de mise en scène qu'à la fin. Le disque vinyl qu'écoute le docteur Cawley est lui aussi là pour faire émerger les souvenirs d'Andrew. Lorsque Warden ramène Teddy à l'hôpital il lui dit "Cawley vous croit innofensif et croit qu'on peut vous contrôler mais je sais que c'est faux" (selon lui la psychothérapie ne marchera pas), Teddy rétorque qu'il ne le connaît pas et Warden répond "nous nous connaissons depuis des siècles" cela sous entend qu'il le connaît puisqu'il est patient ici depuis deux ans, mais nous ne le savons pas encore.

 

Au final, les trois méthodes employées en psychiatrie auront été expérimentées consécutivement sur Andrew :

d'abord la pharmacologie avec son traitement, puis la psychothérapie avec le jeu de rôles grandeur nature et enfin la psychochirurgie avec la lobotomie.

 

 

 

 

 

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